Rétention des talents : le pouvoir de l’attachement au lieu de travail

20 juillet, 2021

L’attachement émotionnel comme physique au lieu de travail est crucial pour les ressources humaines et est favorisé par les potagers collaboratifs.

Executive summary :

Les salariés français ont été élus les plus désengagés au travail d’Europe[1]. Cette distinction coûte cher à la France puisque le coût du désengagement est estimé d’après l’Indice de Bien Être au Travail (IBET) 2020 à 14 310 euros par salarié et par an[2]. A la suite de la crise sanitaire, 57% des managers observent un désengagement de leurs collaborateurs[3]. Le désengagement provoque une baisse de productivité mais aussi une hausse du turn-over. Ce dernier ajoute un nouveau coût à l’entreprise qui est estimé entre 25% et 250% du salaire annuel de l’employé sortant, en fonction de son niveau de qualification[4]. Face à ces chiffres, développer l’engagement pour réduire le turn-over est un enjeu central pour les ressources humaines.

Pour répondre à ces problématiques, la psychologie sociale, du travail et de l’environnement, apporte une nouvelle expertise. Elle analyse les dynamiques de groupe dans l’entreprise, les interactions entre collaborateurs et avec leur environnement de travail. De nombreuses études révèlent des leviers d’action généralement peu exploités en entreprise, notamment l’attachement au lieu de travail. Il s’agit du lien affectif qui lie le salarié au site d’entreprise. Cette dimension affective est une source, sous-considérée, de satisfaction, d’engagement et de fidélisation des talents.

Ce levier est éprouvé tous les jours, depuis sept ans, par la start-up Ciel mon radis. En effet, les potagers collaboratifs en entreprise développent l’attachement en travaillant sur trois axes clés : la création du lien social, la promotion de valeurs citoyennes et l’appropriation du lieu de travail.

Découvrez l’attachement au lieu au travail, levier essentiel des ressources humaines

Lien social

L’attachement au lieu de travail c’est le lien affectif qu’entretient le salarié avec son lieu de travail. Au-delà de l’espace physique, le site d’entreprise se caractérise par les relations sociales qui y sont développées. La dimension sociale est la plus décisive dans la création du lien d’attachement[5]. Les collaborateurs sont liés à leur lieu de travail par attachement à leurs collègues, par « attachement à la communauté »[6], c’est le lien social[7]. L’entreprise, comme communauté, incarne le sens du mot « société » comme un ensemble de personnes qui coopèrent et développent une culture, des normes et des comportements spécifiques en partageant une vie collective[8].

Lieux de convivialité

D’autre part, l’attachement peut correspondre à la dimension spatiale du lieu de travail par ses caractéristiques fonctionnelles et esthétiques, c’est l’enracinement. Ce sont les lieux de convivialité, de rencontres et de communication informelle qui suscitent le plus d’attachement. Les salariés sont également liés aux lieux où ils peuvent s’isoler et évacuer leur stress et aux lieux où ils choisissent délibérément d’aller ou non comme les salles de pauses et les espaces extérieurs. Tous ces espaces, souvent relayés au second plan, jouent en fait un rôle essentiel dans l’attachement des équipes à leur entreprise.

Un enjeu pour les ressources humaines

L’attachement au lieu est peu connu du monde des ressources humaines mais va pourtant influencer la bonne dynamique de l’entreprise. En effet, il permet de développer une identité collective en entreprise. Les collaborateurs sont davantage liés à la communauté et entretiennent de meilleures relations entre collègues[9] générant des comportements de cohésion[10], de coopération et d’entre-aide. Cette ambiance collective améliore la qualité de vie au travail et le bien-être des salariés.

L’attachement au lieu permet également aux salariés de s’adapter plus facilement au travail[11] et de mieux s’intégrer à l’entreprise[12]. De plus, il induit un engagement en faveur du lieu[13] et encourage les comportements de protection du lieu[14]. Tous ces éléments vont prévenir les effets de la concurrence et permettre la rétention des talents[15]. L’attachement à un lieu peut se créer naturellement au fil des interactions qui s’y passent et des souvenirs qui s’y créent. Cependant, il est possible d’influencer l’attachement au lieu en travaillant sur ces trois axes clés :

  1. Créer du lien social
  2. Incarner des valeurs
  3. Penser les espaces de manière collaborative

1. Créer du lien social en entreprise

Fidéliser et engager les collaborateurs

Premier critère de qualité de vie au travail et dimension décisive d’attachement au lieu de travail[16], le lien social en entreprise est le levier principal de la rétention des talents. Les bonnes relations sociales en entreprise développent le sentiment d’appartenance au groupe de travail, le sentiment de communauté[17] et l’attachement à l’entreprise. De plus, en s’identifiant à une équipe de travail, les salariés développent des comportements de coopération[18]. Il suffit d’intégrer une personne dans un groupe défini pour qu’elle développe un sentiment d’appartenance[19] et qu’elle réalise des comportements en faveur du groupe et de l’entreprise[20]. On observe notamment des comportements de coopération, d’entraide et de valorisation de son équipe. Favoriser le vivre-ensemble, la participation à la vie de l’entreprise et les expériences sociales positives communes, c’est renforcer l’attachement des collaborateurs[21].

Les équipes du CIC récoltent ensemble les fruits et légumes de leur potager participatif d'entreprise

Le potager, créateur de lien social en entreprise

Le potager participatif développe le lien social en entreprise en proposant un lieu où les collaborateurs peuvent se retrouver, se rencontrer et partager des moments. Les animations permettent de souder le groupe de jardiniers-collaborateurs qui développe un fort sentiment d’appartenance. Au potager collaboratif, les collègues se rencontrent et échangent, quel que soit leur statut dans l’entreprise : « on est tous égaux devant le poireau ». C’est un lieu où les collaborateurs peuvent discuter de manière informelle. Ce qu’a le plus apprécié Elise[22], collaboratrice Roche, c’est « la convivialité et le plaisir de faire des choses différentes au bureau ».

Enfin, le potager va lutter contre l’isolement des salariés. Ce point est d’autant plus important dans le contexte du Covid-19 où la généralisation du télétravail a isolé les salariés, bouleversé les organisations et compliqué les communications. Les collaborateurs recréent au potager le lien social qui a pu être détérioré pendant cette crise sanitaire, ce qui permet de réengager les collaborateurs et d’améliorer la qualité de vie au travail.

2. Incarner des valeurs en entreprise

Attirer et fidéliser les talents

Les salariés s’attachent aux lieux qui incarnent des valeurs. En effet, les lieux porteurs de sens sont prédicteurs d’attachement[23]. Les valeurs prônées par l’entreprise vont participer à créer un sentiment d’appartenance envers l’entreprise. Lorsque les salariés intègrent l’entreprise, ils adoptent son jargon, ses principes et ses valeurs.

L’entreprise est donc un vecteur d’identité et se doit d’être en cohérence avec les préoccupations des salariés. De récents sondages montrent que les questions environnementales sont devenues si centrales pour les Français que l’écologie a dépassé le chômage et l’insécurité pour devenir la première préoccupation des Français[24]. 85% des Français déclarent être préoccupés par les questions environnementales[25]. 82% se disent préoccupés par l’accès à une alimentation de bonne qualité pour leur santé[26].

Ainsi, les collaborateurs se questionnent-ils au quotidien sur leurs leviers d’action pour l’environnement et leur santé. Le fait de retrouver ces valeurs au bureau et de pouvoir agir concrètement renforce l’engagement des collaborateurs. C’est pourquoi les démarches de Responsabilité Sociale et Environnementale prennent une place de plus en plus importante dans la vie de l’entreprise. C’est le cas du Groupe AXA qui, par le biais de son association AXA Atout Cœur, pousse ses salariés à prendre sur leur temps de travail pour s’engager pour une cause sociétale.

Le potager d'AXA, écologique et participatif

Le potager, symbole des valeurs de l’entreprise

Le potager permet d’incarner les valeurs de l’entreprise et de rendre concrète la démarche RSE. C’est un projet qui porte un double sens, social et environnemental. La dimension sociale correspond aux valeurs de cohésion et de coopération. Thomas[27], collaborateur Roche, déclare qu’il retient de l’expérience « la solidarité et l’entraide ». Jacques[28], quant à lui, insiste sur le caractère « simple, authentique, frais et collaboratif ».

Dans un second temps, le potager donne du grain à moudre pour répondre aux questionnements sociétaux des collaborateurs.  En effet, il sensibilise à une alimentation saine pour les salariés et respectueuse de l’environnement. Les collaborateurs apprennent à mieux comprendre la nature, ses cycles, ses besoins et ses bénéfices. De plus, créer un potager en ville c’est revaloriser les espaces verts et réintroduire la biodiversité. La production au potager est biologique, locale et issue de graines reproductibles.

Installer un potager dans son entreprise a un réel impact sur l’environnement des salariés et témoigne d’un engagement fort et concret de la part de l’entreprise. Cultiver un potager c’est agir simplement, concrètement et efficacement à son échelle. Ces valeurs, sociales et environnementales, traduites par le potager, vont valoriser l’image de l’entreprise, lui donner un sens considérable aux yeux des salariés et développer l’engagement affectif des équipes.

3. Penser les espaces de manière collaborative

Pour développer l’attachement au lieu de travail, il est également important de penser les espaces en entreprise. Tout d’abord, il faut savoir que les salariés vont s’attacher aux lieux où ils peuvent se détendre et récupérer[29]. La Théorie de la Restauration de l’Attention [30] révèle que la nature a le pouvoir de régénérer les capacités cognitives. En effet, une pause en nature permet de restaurer efficacement son système attentionnel et de renouveler ses capacités de concentration[31]. Bien penser les espaces, c’est aussi laisser libre les collaborateurs d’agir sur le lieu de travail, d’en contrôler une partie[32] et de pouvoir le rendre plus plaisant[33]. En laissant place à l’appropriation et à la personnalisation, l’entreprise va ainsi augmenter la satisfaction des salariés[34], réduire le stress[35], et améliorer le bien-être, la santé[36] mais aussi la créativité[37].

En s’appropriant l’espace et en le personnalisant, les salariés se sentent davantage à leur place[38]. On peut donc parler d’un besoin de personnalisation de son lieu de travail, particulièrement chez les salariés ayant beaucoup d’ancienneté mais également chez les nouveaux arrivants. Ces derniers, à travers l’appropriation, s’adaptent plus rapidement[39]. C’est ce que l’on appelle une « stratégie de bien-être »[40] qui est mise en place pour s’adapter. Les salariés les plus satisfaits et reconnaissants sont de fait ceux ayant personnalisé aussi bien leur propre espace de travail que les espaces communs[41]. Il apparaît donc pertinent de concevoir des lieux au travail autorisant et même incitant les salariés à s’approprier l’espace.

Les collaborateurs du site d'AXA à Marly-le-roi s'occupe ensemble de leur potager participatif d'entreprise.

Le potager, lieu d’appropriation en entreprise : l’exemple d’AXA

Pour inciter les salariés à s’approprier les espaces sur leur lieu de travail, AXA Atout Cœur a fait appel à Ciel mon radis pour la mise en place et l’animation d’un potager co-conçu et participatif. En trois étapes, les collaborateurs ont pu prendre part à tout le processus de conception et de création de leur potager d’entreprise.

Lors d’une première réunion, ce sont eux qui ont choisi les variétés qui seraient cultivées au potager. Ils ont alors pu exprimer leurs attentes, leurs envies et leurs motivations.

Ensuite, sur site, les équipes ont dessiné leur potager grandeur nature. De petits groupes se sont formés pour chaque zone du potager : plantes aromatiques et médicinales, zone logistique, prairie fleurie, zone de légumes, haie pour paillage et haie fruitière. Petit à petit les lignes du potager apparaissent.

Une fois le plan du potager établi, c’est le moment du chantier participatif. Tous les collaborateurs, de tous les services, chaussent leurs bottes et enfilent leurs gants. Ils se mobilisent ainsi pour transformer cet espace vacant de 300 m² en potager luxuriant de biodiversité. Les collaborateurs construisent les buttes, installent le coin technique, plantent et sèment. Ils ont repris ainsi le pouvoir d’agir sur leur lieu de travail et sont libres de modifier cet espace selon leurs envies. Le potager, animé régulièrement par un jardinier-animateur Ciel mon radis, devient un lieu où les salariés plantent, sèment et récoltent ensemble.

A propos de l’auteure :

Chez Ciel mon radis, Mathilde Collard explore les grands enjeux des ressources humaines, en mettant à profit ses connaissances en psychologie sociale du travail et de l’environnement et ses expériences de terrain. La psychologie sociale et environnementale est l’étude des interactions entre les individus et avec leur environnement, qu’il soit naturel ou construit, physique ou culturel. Etudier ces interactions c’est mettre en lumière et comprendre les dynamiques de groupes dans leur complexité, notamment en entreprise, et les leviers des changements comportementaux des collaborateurs.

Mathilde Collard

Psychologue sociale en mission chez Ciel mon radis


Bibliographie

[1] Etude Cabinet Gallup, 2018

[2] l’ibet© 2020, la santé des collaborateurs à la loupe, 16 octobre 2020, Groupe APICIL

[3] Julhiet Sterwen, IFOP, Baromètre Digital Workplace 2021

[4] Etude American Management Association

[5] Weiss, Rateau, Psychologie sociale et environnementale, 2018

[6] Hummon, 1992

[7] Lewicka, 2011

[8] Définition CNRTL

[9] Stefaniak, Bilewicz et Lewicka, 2017

[10] Coing, 1966

[11] Deasy et Lasswell, 1985

[12] Coing, 1966

[13] Sébastien, 2016

[14] Scannell et Gifford 2017 / Stedman 2002

[15] Hubiak et Banning, 1994

[16] Lewicka 2011

[17] Hubiak et Banning 1994

[18] Turner 1985 ;1987

[19] Tajfel, 1978 ;1982

[20] Pratt 1998

[21] Stefaniak, Bilewicz et Lewicka, 2017

[22] Questionnaire anonyme 2015, Roche, Boulogne-Billancourt (prénoms inventés)

[23] Rioux, 2005

[24] Sondage Business Insider France, You Gov, 2019

[25] Etude 15 novembre 2019, ELABE, réalisé pour Véolia et La Tribune

[26] Les Français et le défi de l’alimentation – ELABE pour Véolia et La Tribune, 26 avril 2021

[27] Questionnaire anonyme 2015, Roche, Boulogne-Billancourt (prénom inventé)

[28] Questionnaire anonyme 2015, Roche, Boulogne-Billancourt (prénom inventé)

[29] Korpela, Kytta, Hartig, 2002

[30]R. Kaplan et S. Kaplan (1989)

[31]Cooper (2015)

[32] Edeney et Buda 1976

[33] Carrère et Evans, 1994

[34] Sundstrom 1986

[35] Becker, 1990 ; Halpern, 1995

[36] Wells, 2000

[37] Goodrich, 1986

[38] Ripoll et Veschambres 2005

[39] Gill 1984, Hess 1993

[40] Monjaret 1996

[41] Barbillon, Moch et Rioux, 2006

Partagez cet article !